lundi 8 avril 2013

Le samedi soir lorsque je peux, à condition qu'il n'y ait pas un tournoi de scrabble le lendemain, je regarde Ruquier sur la 2 "On n'est pas couché", oui il ne faut pas compter s'endormir tôt si nous voulons tout écouter. Les invités étant présentés au début, je décide de regarder ou pas, mais j'attends toujours le moment du fauteuil pour l'homme politique ou l'écrivain, j'éteins à 1h du matin.
Samedi soir j'ai écouté Edouard Martin, ce syndicaliste de Florange qui vient d'écrire un bouquin aidé par une journaliste "On ne me dira jamais plus de me taire", ses origines, sa vie, sa lutte pour défendre les emplois. Il est né en Andalousie, son père espagnol a travaillé dans l'acier en Lorraine avant que sa famille le rejoigne. C'était très intéressant, ce type est intelligent, si un jour il se retrouve au chômage et ça en prend le chemin, il pourra
jouer son rôle dans un film qui retrace l'histoire de ces hauts fourneaux, il a une "gueule" d'acteur, de la présence.
Mittal ce géant de l'acier mais surtout de la finance était le sujet de l'interview, 60 millions d'euros pour marier sa fille à Versailles et à Vaux-Le-Vicomte et pas un kopek pour investir dans les sites français. Il y a de quoi être en colère. A mon avis la cause est perdue, mais Edouard Martin n'aura rien à se reprocher.

Je regardais d'autant plus intéressée puisque j'étais en train de lire le bouquin de Jeanne Benameur "Les insurrections singulières". Un pur hasard, Jeanne Benameur avant d'écrire ce livre avait passé du temps chez Arcelor-Mittal à Montataire, Mittal investissait massivement au Brésil et des lignes d'ateliers fermaient en France.

L'enfance d'Edouard Martin a été marquée par l'humiliation, petit espagnol il faisait une rentrée scolaire à plus de 7 ans, ne parlant pas français, habillé par sa maman comme un petit andalou, il était la cible des moqueries et ça lui a donné de la hargne, les blessures de l'enfance donnent deux résultats, où on rentre dans un trou de souris pour ne pas se faire remarquer, on se fait oublier où on décide d'être plus fort et ils verront ce qu'ils verront.. Pour lui nous connaissons la suite. Embauché à l'usine ses parents lui disaient "Tu écoutes bien le chef." Il a été obéissant pendant deux ans.
J'écoutais aussi un soir Patrick Timsit, fils de juifs pieds-noir, lui est arrivé à Paris à l'âge de deux ans mais ses parents avaient tout un passé en Algérie, il disait que lorsqu'il avait une dizaine d'années il avait honte de son père lorsqu'ils étaient sur une plage, il parlait très fort comme tous les pieds-noirs, il souffrait et disait à son père de parler plus bas, c'était presque une humiliation, maintenant il regrette d'avoir eu honte de son père.
Je n'ai pas été vraiment humiliée on ne peut pas dire ça, mais en arrivant d'Algérie, la haine des pieds-noirs étaient tellement forte, je n'osais pas dire d'où je venais, bon ça s'entendait, mais nous en avons tous un peu souffert. Nous n'étions pas des immigrés, juste des français qui vivaient en Algérie et notre patrie c'était la France.
Tous les enfants d'immigrés souffrent de cette absence de reconnaissance sociale, ils veulent réussir leur insertion et si ça ne marche pas ressentent une sorte d'inutilité dans la vie du pays et on voit ce que cela donne dans les cités, il y a ceux qui sont bien décidés à se faire entendre comme Edouard Martin, mais lui a commencé à travailler dans un pays où l'industrialisation était encore forte, il a appris sur le terrain, la tête haute et il n'est pas prêt de se taire. Quant aux autres ???
Beau moment de cette émission du samedi soir.

J'ai donc fini "Les insurrections singulières", j'ai lu ce livre sans pouvoir m'arrêter, vous commencez et vous êtes cuit, vous ne pensez qu'à avancer dans cette lecture parce que l'histoire de ce jeune homme est passionnante.
Antoine est le fils d'un ouvrier d'aciérie, sa mère vend sur les marchés, Loic son frère est une élève brillant qui rompra la fatalité, ouvrier de père en fils, il sera prof. Antoine n'aime pas l'école, à 8 ans c'est déjà un enfant en colère qui un soir s'enfuit de chez lui sans que ses parents s'en aperçoivent, il a couru au hasard des rues, seul le passage à niveau baissé et un train qui passe lui font prendre conscience qu'il faut rentrer à la maison.
Il étouffe déjà dans cet univers, il sait qu'il ne pourra pas vivre comme ses parents et pourtant il rentre à son tour à l'aciérie, comme son père, tombe amoureux d'une prof Karima, fous amoureux au début, Karima se lasse, Antoine ne trouve pas les mots qu'elle voudrait entendre, ces mots sont les siens ceux du dedans qu'il n'arrive pas exprimer. Karima lui demande de partir, il retourne chez ses parents dans sa chambre d'ado, 'lusine" les repas avec ses parents, sa moto et Marcel le voisin qui vend des livres anciens sur le marché, Marcel sera celui avec qui il pourra parler et qui lui fera découvrir la lecture. Ce livre est une apologie de la lecture.
Antoine qui milite dans son usine, qui fait grève pour qu'une ligne de fabrication ne ferme pas, Antoine découvrira dans les livres que Jean de Monlevade a créé la première aciérie au Brésil, le pays où Mittal délocalise. Las de son travail, las des luttes syndicales, il partira pour Monlevade, Brésil, essayant de mieux comprendre la mondialisation Il ne partira pas seul, Marcel qui a 80 ans l'accompagnera, merveilleux compagnon de route. Il parlera avec Marcel des nuits entières, les mots, ces fameux mots qui restaient bloqués sortiront. Au Brésil, il trouvera sa place avec Thaïs, il commencera à écrire.
"On n'a pas l'éternité devant nous, juste la vie.". Il se retrouve, lui qui avait si peur de se perdre de vue.
Très émouvant le passage où il lit enfin le petit carnet noir de son père, où il découvre jour après jour toute la vie de son père, de ses parents qu'il aime mais il n'a pas voulu vivre leur vie "Comment être content tous les jours de partir le matin, dire au revoir aux enfants, embrasser sa femme, retrouver les autres à l'usine, le travail et recommencer le lendemain.."
Antoine n'a pas d'enfant, c'est toute la différence, là j'avais envie de lui parler "Comment faire lorsqu'on a des enfants à faire vivre, à éduquer, un loyer ou une maison à payer? Peut-on les embarquer dans une histoire improbable?"

Ce livre est un véritable coup de cœur, je me suis laissée embarquer dans l'histoire d'Antoine, cherchant avec lui son chemin, j'avais l'impression d'être Antoine, sans doute parce que je trouve le parcours d'Antoine exemplaire pour une jeunesse qui se cherche et qui ne trouve pas son chemin. Si vous avez entre trente et quarante ans et que votre vie ne vous satisfait pas il faut lire ce livre, tout est possible.
J'avais refermé le livre, toujours pensive et Christian est arrivé en me demandant de venir voir le boulot effectué dans le jardin, j'ai dit "Pas la peine de continuer, nous partons pour un pays ou une région où le soleil brille" J'avais envie d'oser faire comme Antoine, pas pour les mêmes raisons, mais très vite la réalité a repris le dessus, c'était juste un rêve, et je sais très bien que Christian est aussi prêt à partir, il ne faudrait pas que j'insiste trop. Partir à nos âges me semble compliqué, pour plein de raisons, pourtant Marcel a 80 ans lorsqu'il accompagne Antoine, alors tout est possible.
Il faut aussi accepter les "temps morts de la vie" comme le dit l'auteure :
"Ah...soupire Marcel, savoir attendre, c'est une drôle d'affaire, ça s'apprend, supporter le "temps mort", c'est tout un art... Tu vois, moi j'ai des passions, les livres, ça me sauve..je traverse mes temps morts avec des gens qui ont œuvré pour ça, ceux qui ont écrit, je les aime, et je leur suis infiniment reconnaissant."
Oui, on sent que le temps passe, le vie passe et nous avons l'impression de n'en rien faire.
J'aime aussi les gens un peu fous, un peu en décalage, comme Antoine.

Lisez ce livre. Quant à moi je vais me précipiter sur les bouquins de Jeanne Benameur qui écrit si bien, des mots justes, de la poésie, une écriture fluide, ça coule, je vous avais déjà dit que l'Algérie avait vu naître de beaux écrivains, c'est la confirmation.  Bye MClaire.